10/7/08

Lettre d'un immigré

Ma chère Hamisa,

Je parle avec toi pour la dernière foi. Tu es la seule valise que je me résiste à abandonner, la plus lourde, la plus belle. Je ne peux pas t'emmener avec moi et tout ce que tu signifies pour moi : l'amour, la jeunesse, le calme, notre petit village, notre pays, nos cabanes, le fort soleil, la poussière, nos familles, nos amis...

Après ces deux ans je doute parfois si tu as existé, si ton visage est comme je me la rappelle, j'hésite entre la réalité et les rêves (plutôt les cauchemars). Je me sens tellement vieux, tellement fatigué... J'ai besoin d'abandonner mes bagages. Tu sais bien : la guerre, la misère, la peur, la douleur... Ces mots, qui sonnent presque bien en français, son le début de notre enfer : le camp de réfugiés, la faim, la peur des soldats, la tristesse de regarder nos familles déjà sans larmes pour pleurer.

Quand je suis arrivé en France on parlait de notre guerre à la télé et à la radio, mais quelques jours après, tout était oublié. Combien de fois je me suis demandé si vous alliez bien!. Combien de fois j'ai prié pour vous!. Bon, tu sais tout : je suis sûr que tu m'écoutais toutes les nuits prier pour vous et aussi pour moi-même, pour que je puisse trouver un travail, pour que la police ne m'arrête pas quelque nuit, quelque jour, quelque heur, quelque minute...

Il y a une nouvelle que tu ne sais pas encore : j'ai pris une décision. Je t'explique : pendant tout ce temps où j'ai fait tout genre de choses pour survivre ici, je ne pensais qu'au moment où je retournerais chez nous et que la vie reprendrait comme avant. Nous oublierions tous les temps terribles. Néanmoins, ces dernières semaines j'ai commencé à comprendre. J'ai vu clairement que je ne peux pas retourner chez nous (à cause de ma fuite, je serais immédiatement emprisonné). En tout cas, si le gouvernement me pardonnait (ça serait presque improbable) la vie ne serait jamais comme auparavant. Mise à part la manière de vivre dans un pays qui vient de connaître une guerre civile, je ne suis pas la même personne que tu as connue et je suis sûr que tuas aussi changé. La vie ne s'arrête jamais, ma belle. J'ai compris que je n'ai rien, que je ne suis qu'un corps (toujours en train de s'enfuir) et qu'un esprit, un esprit blessé à qu'il n'est pas permis de vivre ni au passé, ni au futur ; seulement au prèsent. C'est pour ça que je ne peux pas continuer à penser toujours à toi, à vous, au retour. Cette nuit je "dors" sur cette banquette de ce métro, de cette ville. Demain?, je ne sais pas. Ma vie ne m'appartient plus, je suis comme une bille jetée par quelqu'un, toujours en traien de battre contre de grands murs. Je suis condamné à ne m'arrêter jamais et à être toujours en garde, prêt à partir, comme une petite souris.

Le seul moment où je me sens vivant est quand je chante. Chanter signifie continuer à être une personne, à avoir un coeur chaud. Ça me sert pour communiquer aux autres les sentiments de mon âme.

Bon, j'espère que tu seras libéré de moi à ton tour. Il ne nous est pas permis de rêver, seulement de mal survivre le présent.
Nos "conversations" finissent aujourd'hui. Adieu ma chérie!. Adieu mon passé!. Je coupe mes racines et je commence à marcher libre, plus léger et aussi (je le sais) seul, perdu dans l'espace infini. C'est mon destin, la volonté de Dieu, je ne peux pas choisir.

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